Rétro-scoop

Nouvelles du passé, compréhensions nouvelles :
Le mixage au cinéma avec Pro-Tools

Guillaume Bouchateau et Vincent Anardi nous ont accueilli à Boulogne (Auditoriums de Joinville) lors d’une séance de travail sur L’Empire des loups, l’adaptation par Chris Nahon du dernier roman de Jean-Christophe Grangé. L’occasion de nous livrer leur sentiment sur l’évolution des métiers et nous présenter leur méthodologie de travail axée sur Pro-Tools. Guillaume et Vincent, une collaboration de tous les instants entre le monteur et le mixeur Sur quel projet travaillez vous à l’heure actuelle? Guillaume : On finit ensemble L’Empire des Loups un film de Chris Nahon, produit par Gaumont avec Jean Reno. Je démarre très prochainement Bandidas , un western produit par Europa avec Pénélope Cruz et Salma Hayek. Vincent : De mon côté je vais mixer le prochain film de Guy Ritchie « REVOLVER » produit aussi par Europa. On s’imagine à tort que la production son cinéma est privilégiée: qu’elle dispose d’un temps infini et d’un plan de travail « blindé ». Quelles sont aujourd’hui les réalités auxquelles sont confrontés les monteurs et mixeurs? Pro Tools est-il une réponse à ces nouvelles contraintes? G : Même si l’industrie du cinéma est un peu la F1 de l’audiovisuel (par rapport à la TV par exemple), le temps de travail et particulièrement du montage son, a pris a sacré coup dans l’aile. En fait, même si le temps global de montage reste constant, les délais entre la fin du montage image et le début du mixage ont carrément fondu: Le montage image bouge sans arrêt (y compris pendant le mix), et les effets spéciaux arrivent toujours au dernier moment. Il est évident que travailler en montage comme en enregistrement sur un seul et même système facilite grandement les choses en terme de conformation et d’échange de fichiers. Encore plus que les facilités d’édition offertes par Pro Tools, c’est son côté « Standard » qui sur ce point fait une vraie différence. V : Je confirme les propos de Guillaume, sur la plupart des projets nous sommes confrontés à des changements d’images tardifs et à des retards de livraison tels que les effets visuels images, les musiques ou quelque fois des retakes de tournage. Il est vrai que bien souvent l’équipe de montage consacre plus de temps aux conformations qu’à la création. Je reste convaincu par expérience que l’utilisation d’un seul système pour la fabrication d’un film est la meilleure solution. Je ne crois définitivement plus aux échanges de fichiers entre les systèmes. La simplicité étant le gage de l’efficacité, fort est de constater que Protools est un standard dans le montage ; cela fait maintenant quelques années que j’enregistre sur Protools afin de respecter la chaîne de travail. Guillaume ajuste les effets et bruitages, au second plan les Pro Tools voix et musique Peux-tu nous expliquer les grandes étapes de ton travail de monteur? G : Le problème, c’est qu’il n’y a pas de règles. Chaque film impose sa contrainte, une façon de procéder. Quelque soit le type de film que l’on fait, que ce soit un film d’action ou un film d’auteur, la seule règle, c’est l’image qui la dicte. Le plus intéressant, c’est de rentrer dans l’univers d’un metteur en scène, de comprendre ce qu’il veut raconter et comment il veut le raconter. La lecture du scénario n’est pour moi qu’une première étape. Ensuite, tout dépend du metteur en scène : certains savent très vite ce qu’ils veulent, d’autres hésitent plus. Dans tous les cas, mon rôle est de proposer assez vite une esquisse sonore de la scène pour savoir dans quelle direction le réalisateur souhaite aller. Ensuite, je peaufine, je travaille les matières sonores, je les cale et en ajuste les volumes et les panoramiques. Tout ce qui sort de la salle de montage est déjà placé dans l’espace. Le metteur en scène (et moi accessoirement) bénéficie ainsi d’un réel confort d’écoute : Il a déjà (musique et dialogue mis à part) une très bonne idée de la façon dont son film va sonner. Et à chaque étape du travail, je visionne et revisionne en boucle la séquence sur laquelle je travaille : cela m’évite de partir dans des délires sonores que la scène n’impose pas. N’oublions pas que l’on fait du son à l’image. Pour rentrer un peu dans les détails, comment collaborez-vous avec Vincent sur le mixage final? G : Je livre au mixage des Stems 5.0. Les sources sont donc déjà placées dans l’espace, les acoustiques préparées… Par contre je laisse à Vincent le soin de gérer le « .1 », le canal LFE. Vincent adore l’infra grave. Pour ce qui est du montage son, les choses vont donc assez vite, d’autant qu’on commence à se connaître et que si quelque chose nous dérange dans le mix (ou dans le montage) on se le dit tout simplement. En plus j’envoie à l’audi dès le prémix parole un Bounce 5.0 de mon travail. Vincent peut donc s’appuyer dessus pour travailler et tout simplement l’écouter, pour me faire corriger certains détails… Mais le montage son n’est qu’un élément de la bande son d’un film : s’y ajoutent les dialogues et bien entendu la musique. V : Comme le dit Guillaume, c’est vrai qu’il n’y a pas de règles pour la fabrication, chaque film est un cas particulier; en revanche, au mixage, je crois fortement à une règle : c’est l’esprit d’équipe, la complicité dans les rapports, l’échange d’idées. Nous ne devons jamais oublier que nous formons une équipe au service d’un film et d’un réalisateur. Nous appliquons toujours cette règle lorsque nous travaillons ensemble. La qualité et la présentation du travail qu’il me propose me permettent de trouver très rapidement l’équilibre général du mixage, ce qui me donne la possibilité de me concentrer sur les problèmes de dynamique et d’égalisation des stems les uns par rapport aux autres et de garder une fraîcheur et un recul nécessaire sur les balances de notre mixage. Guillaume à la souris, Vincent aux faders Quelle est votre configuration de travail? G : En montage, j’utilise un HD2. Pour L’Empire des Loups, j’avais au final des Sessions de près de 150 Pistes (en incluant une partie des bruitages) réparties sur 11 Stems de cinq canaux : 4 pour les ambiances, 7 pour les effets. S’ajoutent à cela un Stem LCR ainsi que trois mono pour les bruitages « FX » et deux mono pour le sub. Au total j’envoyais 64 sorties à la console. Au mixage on disposait en plus d’un HD1 supplémentaire destiné à lire les Musiques et les Bruitages traditionnels, et d’un HD3 pour l’enregistrement. V : Le Pro Tools HD3 utilisé pour l’enregistrement permet de regrouper toutes les différentes étapes du mixage. Sur ce film nous avons enregistré dans l’ordre : un Prémixage dialogues sur 12 pistes. Puis un mixage multipistes sur 32 pistes: Dialogues, Bruitages, Ambiances Dialogues, (tous en LCR), Musique, (en 5.1), Ambiances, Effets (en 5.0) et Efx, un 5.1 ne gérant que les graves. Nous avons enregistré ensuite les masters VO (5.1 film, LtRt SR film, 5.1 DVD, LtRt TV) sur 16 pistes et les masters versions internationales sur 28 pistes soit aux total 88 pistes. Comment appréhendez vous la question du 5.1 ? G : Même si j’ai prévu dans le montage des pistes destinées à partir dans le sub, je monte sans caisson de grave : c’est trop flatteur et impossible à régler (aussi bien électriquement qu’acoustiquement) pour être transparent avec l’auditorium. En plus nos salles sont trop petites pour que le grave puisse s’exprimer correctement. Par contre tous les pans sont préparés dans le Pro Tools. V : le montage son me parvient sur la console par l’intermédiaire de prédub, ce qui permet d’avoir une meilleure visualisation et de réduire la surface de travail. Pour les novices, le prédub c’est un master fader qui commande 8 faders dont l’accès se retrouve dans une zone d’éclatement appelé predub zone. Il est possible d’intervenir physiquement sur le niveau, l’égalisation, la dynamique, les départs auxiliaires, les panoramiques, soit avec la tranche master, soit individuellement dans la predub zone. Pendant le mixage, il m’arrive souvent de corriger l’égalisation de certains stems du montage, de modifier quelquefois la spatialisation, ce qui consiste le plus souvent à resserrer certaines largeurs ou à accentuer certains mouvements; de rajouter des couleurs générales d’effet de réverbération et d’ajuster les niveaux des différents stems les uns par rapport aux autres En ce qui concerne le LFE appelé communément canal de grave, il faut le doser avec précaution. Si, dans certains cas, comme des scènes d’action par exemple il amène de la puissance, il peut, dans d’autres cas où il est mal dosé, réduire l’image stéréophonique et créer un effet de masque sur le reste du mixage.Vincent garde toujours un oeil sur Pro Tools grâce aux déports écrans. Comment ProTools influence votre façon de travailler ? Quels sont les points forts, les faiblesses du système. G : Depuis que j’utilise ce logiciel, (c’est-à-dire depuis la version 4), beaucoup de choses ont évolué et ont forcément modifié ma façon de travailler : le développement du multicanal, et surtout les possibilités offertes par les Plugs-ins m’ont permis de tout centraliser dans un seul système : de la création sonore aux préparations de mixage, forcément plus abouties aujourd’hui. Récemment, j’ai particulièrement aimé la fonction du double routing qui m’a permis de répartir l’écoute de mes pistes sub sur mes 3 canaux LCR. V : Au fil du temps, j’ai dû apprendre à découvrir le Pro Tools comme support d’enregistrement. Comme tout système, il a ses défauts et ses qualités. Mes expériences successives m’ont amené à modifier mes méthodes de travail afin d’être le plus efficace possible. A l’heure actuelle, ma méthode de travail est la suivante : je mets les différents stems de record du Pro Tools en Input, je les protège par des compresseurs contre les surcharges, j’automatise tout le mixage sur la console, niveau, égalisation, panoramique, effets auxiliaires; quand nous sommes contents du mixage, nous le visionnons avec le réalisateur qui nous fait part de ses remarques. Nous corrigeons le mixage suite aux demandes du réalisateur puis je mets les stems en repro et j’enregistre la bobine en une passe. En ce qui concerne ma partie (l’enregistrement) la surface utilisateur me convient plutôt bien. Comment voyez vous l’avenir du mixage et du montage son au cinéma? G : On peut de plus en plus préparer le mixage dès le montage son. Et cela vaut autant pour les effets que pour les paroles. Cela ne diminue d’ailleurs en rien le travail du mixeur, mais je pense que le mix va de plus en plus être proche du Mastering en musique : faire en sorte que tous les éléments sonores puissent tenir sur le format Cinéma. Quels plug-ins appréciez-vous particulièrement, pour quelles applications? G : En terme de traitement, je suis un gros fan de l’AltiVerb, dont la qualité sonore me bluffe toujours à l’Audi. En plus, on peut facilement créer ses propres impulsions pour fabriquer des sons bizarres. On a beaucoup utilisé des résonances de Verre dans lesquelles on passait des pluies pour L’Empire des Loups. Sinon ma dernière découverte ce sont le compresseur et l’égaliseur Sony. J’ai inséré un compresseur sur chacun de mes Stems pour L’Empire ainsi j’étais certain de ne jamais surcharger l’entrée console même en cas de gros sons (fusillades, explosion…). Ça peut paraître étonnant d’être bluffé par ce type de traitement, mais il faut reconnaître que c’est la première fois que je retrouve sous la forme de plug-in des modules digne d’une grosse console. On a même inséré directement les EQs sur les Stems Musique pour se préparer une correction de base : elles n’ont carrément rien à envier à celles de la Neve. Quels sont pour vous les vrais plus des dernières versions? G : D’abord une certaine stabilité pourvu qu’on travaille avec le bon OS (10.3.5). Ensuite, la gradation de volume à 12 dB et le système de couleurs des régions, très pratique quand on dérushe. Guillaume Bouchateau: Etudiant à la FEMIS entre 1994 et 1997, il a ensuite travaillé sur une quinzaine de films parmis lesquels Promenons-nous dans les bois (L. Delplanque), Un Jeu d’enfants (L. Tuel), Décalage Horaire (D.Thompson), Michel Vaillant (LP Couvelaire) et Narco (Tristan & Gilles) Vincent Anardi: Après des études d’électronique terminées en 1976, il a été assistant son pendant 10 ans aux studios de Boulogne, puis ingénieur du son débutant pendant 2 ans dans le secteur publicitaire pour revenir ensuite dans le milieu du film de long métrage comme ingénieur du son free lance. Il fait aujourd’hui parti du cercle très fermé des mixeurs français travaillant régulièrement sur les grosses productions internationales. Il a à son actif plus d’une centaine de mixages de long métrages (dont récemment « Un long Dimanche de Fiançailles » de Jean pierre Jeunet).

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