Ces derniers jours, le nom du géant américain de la vidéo en ligne par abonnement (SVOD) est sur tous les agendas. Lundi 24 mars, Netflix sera rue de Valois, à Paris, pour une rencontre avec la ministre de la ulture et de la communication, Aurélie Filippetti. Au menu : un échange sur les conditions dans lesquelles la plate-forme arrivera sur le marché français, à l’automne :
Les dirigeants de Netflix ont également pris contact avec le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Olivier Schrameck, pour le rencontrer. Ces derniers mois, le conseiller culture de l’Elysée, David Kessler, et la ministre déléguée à l’économie numérique, Fleur Pellerin, ont également reçu la visite de représentants de Netflix.
Si les contacts avec l’exécutif se multiplient, c’est que »Netflix a pris sa décision », admet une source gouvernementale. L’entreprise a lancé le recrutement d’un dirigeant pour la France et multiplié les rendez-vous avec les studios de production (Studiocanal, Pathé, UGC, Gaumont, Lagardère…) pour réfléchir à la constitution de son catalogue. La date de lancement supputée est l’automne, peut-être dès septembre 2014.
En revanche, le flou demeure sur deux questions centrales : l’accès au service et son implantation géographique. Netflix pourrait être proposé soit directement par Internet (accessible depuis n’importe quel appareil connecté), soit à travers les box d’un ou plusieurs fournisseurs d’accès à Internet, par exemple Orange. Netflix pourrait aussi choisir de s’installer à Paris, ou d’entrer sur le marché français depuis le Luxembourg, où se trouve son siège européen.
Depuis le début de l’année, les acteurs de l’audiovisuel ont progressivement pris conscience de cette prochaine arrivée. »Les gens commencent à se dire que ça va vraiment avoir lieu, l’attentisme a cédé la place à un certain affolement », relève l’un d’entre eux.
Ces derniers temps, les réunions se multiplient. Netflix a été l’un des principaux sujets d’un déjeuner organisé par le CSA avec neuf responsables de groupes audiovisuels, lundi 17 mars.
Vendredi, c’est le ministère de la culture qui a rassemblé des dirigeants de l’audiovisuel et de la production pour une réunion de travail. Des réunions qui, pour le moment, révèlent des positions diverses.
Producteurs et diffuseurs divergent Les impacts de l’arrivée de Netflix seraient multiples. Les opérateurs de VOD et les chaînes payantes fondées sur le cinéma et/ou les séries, comme Ciné+ ou Orange Cinéma Séries, voient débarquer un concurrent et risquent de perdre des abonnés.
Et pour l’ensemble des chaînes, y compris gratuites, Netflix est en mesure de bouleverser le marché des droits. L’américain a dépensé 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros) en achats de droits en 2013 et levé 400 millions de dollars pour financer son développement en Europe. L’arrivée de cette manne sur le marché français conduira inévitablement à une hausse des droits. Or les chaînes françaises connaissent des difficultés financières et leurs dépenses de programmes sont en baisse.
Ce point explique la différence de perception entre producteurs et diffuseurs. »Il n’y aura pas d’union sacrée », pense un observateur. Les producteurs espèrent un apport au financement de la création. »L’enjeu est que Netflix applique les mêmes règles que les autres en France : les obligations de production et de promotion d’oeuvres françaises, ainsi que la contribution au CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] », résume Pascal Rogard, le directeur général de la société d’auteurs SACD.
Pour les diffuseurs, l’inquiétude domine. Ils ont bien sûr pris des mesures préventives. Canal+ a lancé en septembre 2013 Canal+ Séries et développé, ces derniers mois, son offre sur Internet, avec notamment une offre payante par abonnement, CanalPlay, qui propose des films et séries en accès illimité et qui compte 400 000 abonnés. Canal+ regarderait aussi le dossier Dailymotion, qu’Orange veut céder. TF1 a également admis réfléchir à une offre de SVOD.
Mais les trois grands groupes privés (TF1, Canal+ et M6) sont surtout tentés de freiner l’arrivée de Netflix ou d’obtenir des contre parties, notamment des obligations de financement moins importantes ou de meilleurs droits de commercialisation des oeuvres. Les patrons des trois groupes ont écrit une lettre commune en ce sens, le 11 février.
L’exécutif ouvert au dialogue Face à ces pressions divergentes, le gouvernement est pour le moment dans une attitude d’écoute. Il n’a pas renoncé à convaincre Netflix de s’installer à Paris et d’adopter les règles du jeu hexagonales. »Netflix doit être un acteur supplémentaire du système, pas un passager clandestin qui profite sans abonder la création française », déclarait Mme Filippetti en janvier.
Sont en jeu les 15 % de chiffre d’affaires que tout service de VOD doit actuellement investir dans les films et fictions européennes, dont 12 % dans les films et fictions françaises, ainsi que des quotas de films français et européens au sein du catalogue. Une installation au Luxembourg serait a priori plus simple pour Netflix, qui paierait moins d’impôts et ne serait pas tenu aux obligations qu’impose la réglementation française.
L’exécutif aimerait faire de l’arrivée de Netflix l’exemple d’une négociation réussie, qui fasse enfin contribuer un acteur numérique américain au financement de la création française. Mais les moyens de pression sont à ce jour limités, malgré les efforts du gouvernement pour porter ces questions à l’échelle européenne. »C’est une question très difficile », reconnaît un intervenant.
Aux Etats-Unis, Netflix a révolutionné la consommation de contenus
»Les entreprises meurent rarement pour avoir bougé trop rapidement, mais elles meurent souvent pour avoir réagi trop lentement », écrivait, en 2011, Reed Hastings, le fondateur et patron de Netflix. Dix-sept ans après sa création, l’entreprise californienne est engagée, parallèlement à son expansion à l’international, dans sa deuxième transformation majeure, bousculant de nouveaux acteurs, comme la chaîne de télévision payante HBO.
Lancé durant l’été en 1997, Netflix est d’abord un service de location de DVD par courrier. La révolution intervient deux ans plus tard avec l’introduction d’un abonnement mensuel, à partir de 10 dollars (7,25 euros). Le succès est rapide. En 2005, la société envoie un million de films par jour. En 2007, elle expédie son milliardième DVD. Les vidéoclubs sont pris de cours. La plus importante victime s’appelle Blockbuster, 9 000 magasins et 5,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2004.
Source Le Monde Mars 2014