La vague actuelle d’automatisation et de numérisation de l’économie transforme de façon puissante et rapide l’emploi et le travail. L’ampleur des enjeux justifie un diagnostic documenté et partagé. C’est pourquoi le Conseil d’orientation pour l’emploi, qui réunit notamment les représentants des employeurs et des syndicats, l’Etat, le service public de l’emploi, des économistes et experts du marché du travail a voulu s’en saisir :
Dans un premier rapport adopté en début d’année, le Conseil a montré que l’enjeu est moins la « fin du travail » que la transformation des emplois : si moins de 10 % des emplois actuels présentent un cumul de vulnérabilités qui en menace la pérennité, environ 50% des emplois actuels verront leur contenu se transformer notablement ou profondément. La vague technologique actuelle continue en outre de favoriser l’emploi qualifié voire très qualifié. Elle pourrait par ailleurs contribuer à localiser de nouveaux emplois en France.
Á la recherche de compétences expertes :
Dans un deuxième rapport adopté en septembre, le Conseil a montré que trois groupes de compétences seront bien plus mobilisés dans une économie numérisée – des compétences « tech » expertes, des nouvelles compétences techniques en lien avec l’hybridation des métiers, ainsi que des compétences transversales. Il a mis l’accent sur le fait qu’il existe un écart important entre ces besoins en compétences et celles dont disposent actuellement les actifs. L’effort à accomplir est massif est urgent. C’est notamment le cas pour les compétences dites « transversales » (compétences numériques générales, cognitives, sociales et situationnelles). Il apparaît ainsi que, s’agissant des compétences cognitives, 13 % des actifs en emploi sont en difficulté et 30 % pourraient progresser pour disposer de meilleurs atouts.
Vers de nouveaux modes de travail :
Sur la base de ce diagnostic, le Conseil a proposé les grands axes d’une stratégie globale d’évolution des compétences dans le cadre de la révolution numérique. Avec ce troisième rapport consacré à l’impact de la révolution technologique sur le travail, le Conseil établit un diagnostic sur les tendances actuelles d’évolutions des modes d’organisation du travail et leur lien avec les avancées technologiques ainsi que leurs implications sur les situations des personnes au travail. Avec le progrès technologique, le travail sera-t-il plus ou moins pénible, physiquement, psychiquement ? Sera-t-il plus ou moins intéressant, plus ou moins complexe, plus ou moins intense ? Travaillerons-nous tous en mode start-up, de chez nous la plupart du temps, sans hiérarchie pesante, avec pour principale consigne d’innover, de créer, avec un droit à l’erreur permanent ? Ou serons-nous, au contraire, les assistants ou les collègues de robots de plus en plus perfectionnés, surveillés à temps plein pour chacun de nos gestes, de nos paroles, de nos actions ?
Un lien positif entre numérisation et flexibilité du travail :
Dans sa nouvelle étude, le Conseil met en évidence un lien positif entre le degré de numérisation de l’entreprise et l’adoption de modes d’organisation du travail dits « flexibles » (travail en équipes autonomes, polyvalence, décentralisation des décisions etc.). Des analyses complémentaires permettent d’identifier d’autres formes, proches, dites « post-tayloriennes » comme l’intrapreneuriat, l’entreprise étendue ou encore l’entreprise libérée, qui se développent aussi actuellement. Pour autant, il n’y a pas de déterminisme technologique. En effet, les technologies sont aussi complémentaires de pratiques qui poussent plus loin encore les principes tayloriens de l’organisation scientifique du travail (comme celles fondées sur une utilisation intensive du voice picking sur les plateformes logistiques). C’est donc plutôt à une hybridation de différents modes d’organisation du travail à laquelle nous assistons aujourd’hui, parfois au sein de la même entreprise. Elle s’accompagne d’un brouillage progressif des frontières des entreprises et d’une ouverture progressive sur un écosystème local ou international toujours plus large et plus diversifié.
Les technologies ne sont qu’un potentiel :
Le Conseil montre également que les nouvelles technologies contribuent à modifier les situations de travail des personnes. Dans une nouvelle étude quantitative, le Conseil met en évidence qu’elles ont des effets pluriels : la probabilité de juger son travail intéressant, complexe et intensif augmente en effet avec un usage plus fréquent du numérique. Cela se vérifie jusqu’à une certaine part du temps de travail (autour de 60 à 80 % du temps selon le cas en moyenne). Au-delà, la contribution du numérique devient négative pour l’intérêt et l’intensité du travail, et stable pour sa complexité. Dans ce domaine également, il n’y a donc pas de déterminisme : les technologies comportent des risques réels. Au total, les avancées technologiques changent la donne dans les entreprises mais ne sont pas plus associées à un modèle type d’organisation qu’a une évolution type des situations de travail. Les technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi et il n’y a, de fait, ni déterminisme technologique ni organisationnel. « Les périodes de grandes transformations donnent lieu à bien des fantasmes et bien des frayeurs aussi, indique Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil. Les technologies ne sont qu’un potentiel : c’est à nous de décider de ce que nous en ferons. La question est : comment on introduit les technologies dans l’entreprise, pour quoi faire, comment et avec qui ». Le Conseil estime que le dialogue social constitue le levier essentiel pour accompagner la définition de la stratégie des entreprises et permettre l’indispensable appropriation collective des enjeux de la mutation numérique avec toutes ses conséquences en termes d’évolution des métiers, d’organisation du travail, de contenu du travail et des situations de travail.
Un nouveau dialogue sur le travail :
Il considère notamment que la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui se révèle particulièrement adaptée aux enjeux, doit évoluer dans ses ambitions, son contenu et ses outils pour trouver enfin toute sa place. Trop souvent cantonnée à une logique de gestion à court terme de l’emploi, elle doit trouver sa vocation prévisionnelle pour traiter toutes les implications de la transformation numérique sur l’évolution des emplois et des métiers et sur celle des compétences, et cela en lien avec l’évolution des modes de management. « C’est aussi un nouveau dialogue sur le travail, son organisation, et son contenu qui apparait désormais nécessaire dans l’entreprise, ajoute Marie-Claire Carrère-Gée. Ce dialogue doit s’élargir à des questions déontologiques, voire éthiques, pour que les technologies soient au service des hommes et des femmes qui travaillent, non l’inverse ».
Source : ITR News
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